Les petites cases

Introduction

L’édition en sciences humaines et sociales connaît depuis quelques années une crise. Elle subit les conséquences du paradoxe de la publication scientifique, c’est à dire l’affrontement de deux logiques contradictoires : l’économie de marché et l’économie du savoir [Chartron, 2001]. A l’image de Robert Darnton [Darnton, 1999], certains chercheurs en sciences humaines et sociales voient dans l’édition électronique un moyen de résoudre ce paradoxe, puisque celle-là dont les coûts sont moindres permettrait de mettre à disposition les résultats de la recherche gratuitement et librement sur le Web. Du point de vue économique et de la diffusion des savoirs, l’édition électronique sur le Web permettrait à l’édition en sciences humaines et sociales de sortir de cette crise. Mais le support, la logique éditoriale et les outils de l’édition électronique sont complètement différents de ceux de l’édition traditionnelle. L’édition électronique ne doit-elle devenir qu’une pâle copie du papier quand elle peut profiter de toutes les possibilités techniques offertes par ce nouveau support, en particulier l’hypertexte et les possibilités données par l’outil informatique et les interfaces graphiques ? De plus, les chercheurs doivent pouvoir utiliser ces éditions, c’est à dire que les concepteurs et les éditeurs de ces hypermédias scientifiques doivent prendre en compte leurs usages et leurs habitudes de travail et de diffusion de l’information scientifique. C’est pourquoi il m’a semblé important de mener des recherches dans ce sens. Couplée à une expérience sur le terrain1, cette recherche, que j’ai limitée au champ de l’histoire, a pour but de faire le point sur ce qui existe déjà, de présenter des pistes de réflexion pour les éditeurs électroniques et de proposer une expérience concrète de ces propositions avec la mise au point d’un site Web.

Parmi les publications des historiens, la monographie représente pour tous les chercheurs en histoire un passage obligé de la carrière académique. Elle prend plusieurs formes : révision en vue d’une diffusion d’un mémoire de maîtrise ou de DEA, thèse de doctorat ou dossier d’habilitation à diriger les recherches et monographie concluant les recherches d’un chercheur sur un sujet qu’il étudie depuis plusieurs années. Les monographies sont donc au centre de l’information historique, lieux des nouveaux concepts, des nouvelles découvertes et bases des polémiques. Cette place originale des monographies est un état de fait sur lequel les historiens ne se sont jamais posé de questions. A la lumière des expériences menées pour la publication d’articles [Dacos, 2000a] et l’édition de sources [Guyotjeannin et Poupeau, 2003], il est important maintenant d’étudier les moyens d’adaptation de la monographie pour laquelle bien des interrogations demeurent. La monographie a pour caractéristique principale une présentation qui impose une lecture linéaire, à l’opposé de l’écriture hypertextuelle, spécifique au Web. De plus, le changement de support, du papier à l’écran, provoque des bouleversements d’ordre cognitif qui ne sont plus à démontrer. Enfin, cette recherche peut être un moyen d’étudier les raisons qui font de la monographie un rite d’institution dans la carrière d’un chercheur en histoire, d’où son importance.

Pour mener à bien cette étude, outre mon expérience de l’édition électronique, j’ai mis en place les premiers éléments d’une recherche sur la façon dont les historiens conçoivent leur information, la produisent, la diffusent et la consultent. Ma formation en histoire et surtout l’année de maîtrise, qui a débouché sur l’écriture d’un travail de recherche, m’ont permis d’appréhender plus facilement le mécanisme de création de la connaissance historique et de mieux comprendre le déroulement d’une recherche en histoire. Cette année de DEA a donc permis de mettre en place les premiers éléments d’une recherche sociologique. C’est à dire que j’ai pu trouver ma place au sein des chercheurs en histoire et formuler un certain nombre d’hypothèses que j’ai utilisées dans ce DEA, et qui seront confirmées par l’enquête ethnologique et sociologique.

Aidé par les nombreuses recherches sur l’hypertexte et une étude attentive de ses évolutions depuis l’invention du Web, j’ai réfléchi aux moyens d’adapter la présentation linéaire des monographies historiques à l’écriture hypertextuelle qui présente des avantages importants pour certains usages de la monographie, mais avec des caractéristiques très particulières.

Enfin, grâce aux hypothèses mis en lumière par ma collaboration et mes discussions avec les chercheurs, j’ai cherché à adapter les différentes interfaces de la monographie électronique aux usages et conceptions des chercheurs, pour en optimiser la lecture et la consultation.

Notes de bas de page

1  Je suis depuis mars 2001, responsable du site Web de l’Ecole nationale des chartes où nous menons une importante activité d’édition électronique, http://www.enc.sorbonne.fr.

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