Les petites cases

Logique applicative contre logique informationnelle des SI

Le Web, de par son utilisation massive par le grand public, ses technologies et la multiplication de l'information qu'il induit, est en train de modifier peu à peu la vision des systèmes d'information (SI) et les avancées dans l'appropriation du média Web marquées par le terme « Web 2.0 » ne fait qu'accentuer ce changement. Le Web n'est évidemment pas le seul facteur qui explique ces changements, mais il constitue un point de comparaison pour les utilisateurs de SI.

Le premier niveau de changement concerne évidemment le fait que les applications bureautiques traditionnels, la messagerie et les fonctions de « groupware » sont maintenant disponibles en ligne. Certains voient même dans le Web le système d'exploitation de demain et, de ce point de vue, l'offre Google Aps pour les entreprises est très significative. Mais, le changement ne se limite pas à cela, il me semble qu'il est beaucoup plus profond, il concerne la logique même de conception du système d'information.

Jusqu'à maintenant, la conception des SI est entièrement concentrée sur les applications ce qu'on pourrait qualifier sous le vocable « logique applicative ». Les besoins des utilisateurs et leur modélisation se traduisent avant tout par la fourniture d'outils-logiciel. Chaque besoin est adressé par une brique applicative dont la communication est assurée par des connecteurs applicatifs de type API. Un portail, aujourd'hui Web, qui se limite bien souvent à une page de liens renvoyant aux différentes applications, constitue le point d'intégration des différentes briques. Dans ce paradigme, le moteur de recherche n'est qu'une application parmi d'autres, une sorte d'excroissance. Cela est, en partie, dû au fait que le développeur du SI doit développer des connecteurs spécifiques pour chacune des applications déployées.

Dans ce paradigme, il n'est question à aucun moment d'informations, de données, de standards, c'est l'information qui s'adapte à l'application avec un phénomène de boîte noire, ce qui rend dépendant le client vis à vis du développeur du SI, dépendance renforcée par le système d'API censé assurer l'interopérabilité. Conséquence évidente : l'utilisateur n'a aucun contrôle sur l'information produite par les applications ce qui rend l'évolution du SI très compliquée voire impossible, enfermant l'utilisateur dans la logique du développeur du SI, puisqu'il imposera souvent une migration lourde des données. L'ajout même d'une brique exige un développement spécifique avec le développement d'un nouveau connecteur. Par ailleurs, le développement d'un tel SI est souvent long et non itératif et, bien souvent, au moment de son déploiement, le SI ne correspond déjà plus à la réalité du terrain. Ce genre de SI constitue un bloc monolithique, peu souple, peu évolutif.

Le Web et plus généralement le développement de l'information numérique ont introduit trois changements :

  1. La séparation de l'information, des données et des applications pour les exploiter, de la mise en forme

  2. un système de flux

  3. Des changements rapides d'interfaces

Ce paradigme se caractérise avant tout, à l'inverse du paradigme précédent, par une adaptation de l'application à l'information, ainsi cette seconde approche pourrait être qualifiée de « logique informationnelle » (j'espère que ce néologisme ne choquera pas vos oreilles). L'interopérabilité est gérée par une normalisation de la structuration des informations et des protocoles indépendants des applications (la logique des Web-service). La gestion, le traitement, l'exploitation et l'accès aux informations sont gérés par des interfaces et l'intégration est gérée par un moteur de recherche et/ou par de véritables interfaces de navigation profitant de la structure et de la sémantique des informations. Évidemment, cette approche renverse complètement la logique du SI et, donc, remet en cause des habitudes de travail et de conception souvent très ancrées à la fois chez les clients et chez les développeurs de SI. Par ailleurs, elle impose une réflexion très importante en amont sur la structuration et la sémantisation des informations, des échanges et des usages.

Pour autant, il me semble que le jeu en vaut la chandelle. L'utilisateur contrôle l'information qu'il crée et gère, puisqu'elle est indépendante d'une application. La structuration de l'information en permet une gestion plus fine au niveau de l'information elle-même. L'utilisateur reprend alors le pouvoir sur son SI. Le développement est plus souple, il est itératif, même s'il est « presque » permanent par des adaptations systématiques des interfaces pour qu'ils correspondent aux besoins et savoir-faire des utilisateurs. L'interopérabilité est plus souple à gérer, les API pouvant être exprimés dans n'importe quel langage informatique. Et, last but not least, cette conception qui est le cœur même du modèle OAIS permet d'entrevoir la pérennisation de l'information numérique.

A travers ce billet, je partage un sentiment, une vision de ce qui me semble constituer les spécificités des SI de demain. Les idées sont évidemment encore à affiner, mais il me semble qu'il y a matières à creuser le sujet. J'aborderai dans les billets suivants un exemple avec une analyse des systèmes d'information en bibliothèques et les moyens de mettre en place cette nouvelle logique ce qui me permettra de revenir sur la structuration de l'information, XML, les métadonnées et évidemment le Web sémantique, en essayant de remettre un peu d'ordre dans toutes ces technologies et ces concepts.

Management de l'information Système d'information Web Causeries — 

Commentaires

Salut Got, merci pour ce billet qui me semble très intéressant. J'attends la suite avec impatience. En attendant, tu as un problème avec ton permalink (et du coup le lien vers le billet dans ton fil RSS). J'imagine que ça doit être dû à tes guillemets dans ton titre qui ne doivent pas bien passer dans l'url. a+
Salut Piotrr, promis la suite va suivre. Pour le problème, c'est résolu maintenant, ce n'était pas un problème dans l'URL, mais dans la génération de la page avec une perte de connexion avec la base de données, merci pour le signalement. A+
"... cette approche renverse complètement la logique du SI [...] elle impose une réflexion très importante en amont sur la structuration et la sémantisation des informations, des échanges et des usages". Est-ce que ça ne correspondrait pas à ce qu'en architecture de l'information, on appellerait une approche bottom-up, dirigée par l'analyse de l'information existante et par celle des objectifs réels des utilisateurs? Elle y est complémentaire, plutôt qu'opposée, à l'approche top-down classique, dirigée par l'analyse des besoins métiers. (Par contre, sa nature multidisciplinaire et ses méthodologies "sciences humaines" peuvent dérouter les ingénieurs du software.)
JM Destabaux > Cette approche, que je ne connaissais pas, a l'air effectivement de correspondre à la vision que j'explique dans ce billet. J'ai effectivement grossi volontairement le trait en opposant les deux visions qui pourraient se compléter efficacement, mais c'est certainement inconsciemment dans la perspective de dérouter ou provoquer "les ingénieurs du software" pour reprendre vos mots. Merci pour votre précision, il faut absolument que je fasse un peu d'état de l'art de la question, pour ne pas donner l'impression de réinventer la roue ;-)

OK avec votre vision. Maintenant, le passage au réel est -- comment dire ? -- problématique, même à long terme. A mon avis, vous décrivez là, non pas "le SI de demain", mais du surlendemain. A moins que ce soit celui de la fin des temps :-)

Car, en entreprise, les documentalistes font face à deux limites :
1. le système d'information (SI) de l'entreprise doit, comme le reste de l'IT, être, pour des raisons de stabilité, de sécurité et de formation/compétences :
a/ sous des logiciels MS ou ceux de MCP (MS Certified Partner) et
b/ hébergé en interne et non sur Internet (hébergement en ligne, même sous mot de passe et sécurisé)
2. l'IT est en entreprise une forteresse qui dépasse en pouvoir les users, car les dirigeants ne la comprennent pas et sous-estiment ses potentialités/capacités. Pour eux, c'est de la mécanique : c'est nécessaire mais on s'en passerait bien si on pouvait. Ce n'est pas vu par eux comme un outil de créativité informationnelle. Déjà, l'IT, c'est ça. Alors, le SI ...

Au final, de facto, les projets SI sont décidés à 80% par l'IT et une solution informatique ne passant pas par une application MS n'aboutit nulle part. Par exemple , on attendra donc, pour développer un intranet et certaines fonctions de KM qu'il permet :
1. que l'IT le permette/approuve
2. qu'elle inclut SharePoint dans les licences firme.

En attendant, quand on a un SIGB, son module web ... et le budget nécessaire, on s'estime très, très, très heureux. Oh oui !

Merci pour votre commentaire, qui me semble un peu fataliste. Y répondre en commentaire serait un peu long et je me propose le faire dans un prochain billet. Mais, pour faire vite, certains indices me font croire que les choses bougent et que les choses ne sont pas aussi figées dans toutes les organisations (publics ou privés), même si, et vous avez raison, le chemin est encore long.